Le Téléthon fête sa vingtième édition et la plateforme Orphanet ses dix ans: l'heure est au bilan. Depuis l'instauration de la réglementation européenne sur les médicaments orphelins en 2000 (1983 pour la FDA), l'Europe rattrape son retard sur les États-Unis.
Cette réglementation aura
donné l'impulsion nécessaire à l'élaboration de nombreux outils
facilitant la recherche. Mis en place en 2002, le GIS – Institut
maladies rares, débourse chaque année 10 millions d'euros pour
financer, par le biais d'appels d'offre, 40 projets de recherche
sur 3 ans. Depuis, 170 projets de recherche ont été financés, 70
réseaux pluridisciplinaires ont vu le jour. Cette initiative
complète celle de l'AFM qui consacre chaque année 60 millions
d'euros à la recherche. En 2005, c'est un plan national maladie
rare 2005-2008, devenu priorité de santé publique, qui a été
initié. Il a notamment permis de créer 130 centres de références
dans lesquels un diagnostic et un suivi des patients souffrant de
la même « famille » de maladie rare est désormais possible. Dernier
projet en date, l'institut Imagine des maladies génétiques est un
pôle de recherche basé à l'hôpital Necker-Enfants malades, encore
une fois pour favoriser un travail en réseau et impliquer davantage
les cliniciens. « Depuis le plan sur les maladies rares, les choses
évoluent favorablement. L'institut Imagine nous donne les moyens de
faire de la recherche. Aujourd'hui, nos conditions de travail sont
archaïques et nos compétences dispersées. Notre objectif est de
faire plus de recherche de qualité et plus d'essais cliniques »,
souligne Alain Fischer. Le programme de recherche européen (FP7)
devrait renouveler son programme sur le sujet, avec des
financements plus importants.
Plus de 500 demandes de
désignation soumises à l'EMEA en cinq ans
« Il n'existe pas d'autres
exemples dans le monde d'une telle organisation en réseau. À
l'étranger, on évoque même un “french model” », se réjouit Ségolène
Aymé, directrice d'Orphanet. Cette plateforme recense notamment les
quelque 1000 projets de recherche en cours en France et en Europe,
de façon à ce que les chercheurs sachent ce qui se fait et si des
collègues travaillent sur une même problématique que la leur. Les
associations de patients ne sont pas en reste dans cette bataille.
Ainsi, l'alliance maladies rares et Eurordis n'ont pas lâché la
cadence de leurs revendications tant au niveau national
qu'européen. L'EuroBiobank, l'European Task Force, l'EuroGentest,
les groupes de travail sur les maladies rares à l'OCDE et à l'OMS,
etc. La détermination française a résonné aux échelons européen et
mondial, y compris aux États-Unis. L'European Rare DIsease
Therapeutic Initiative (Erditi) regroupe quatre grands laboratoires
pharmaceutiques (Roche, GSK, Sanofi-Aventis et Servier) qui ont
accepté de mettre à la disposition des chercheurs leurs
portefeuilles de molécules non développées. À ce jour, ils en ont
fourni une dizaine. « Le NIH regarde de près ce réseau. Il envisage
de mettre en place la même structure. De notre côté, nous
souhaitons l'élargir à d'autres laboratoires », souligne Elisabeth
Tournier-Lasserve, directrice du GIS Maladies rares. Bilan de cette
démarche proactive inédite: entre 2000 et 2005, 533 dossiers de
médicaments orphelins ont été déposés à l'EMEA, 355 médicaments ont
été désignés (400 en tout en 2006) et 28 ont décroché une AMM (dont
8 biothérapies). En 2006, 30 médicaments sont sur le marché (et
intéressent environ 1 million de malades). On estime à 210, le
nombre d'essais cliniques sur des maladies rares en Europe (phases
II et III).
R&D: des avancées
notables mais beaucoup reste à faire
Côté recherche, sur les
6000 à 7000 maladies rares recensées, les chercheurs ont identifié
les gènes dans plus de 1500 maladies, mis au point le test
diagnostic adéquat et parfois la thérapie. Quelques 2200 gènes ont
ainsi été caractérisés. Le séquençage du génome humain et le
développement d'outils de recherche biotechnologiques (puces à Adn,
par exemple) ont donné un coup de fouet à ces travaux. Une
chimiothèque nationale comprenant une collection de 30000 molécules
issues de laboratoires publics de toute la France a été mise à
disposition des chercheurs pour faire du criblage à haut débit. À
Strasbourg, une clinique de la souris accueille une plateforme
technologique qui soutient la mise au point de modèles animaux. «
C'est sans doute un des derniers goulots d'étranglement de la
recherche sur les maladies rares », souligne Laurent Ségalat, du
centre de génétique moléculaire de Villeurbanne. Il a créé un
modèle de myopathie de Duchenne avec le ver C. Elegans il y a 5 ans
et s'en sert pour cribler des médicaments déjà disponibles pour
d'autres indications plus courantes. « Cette stratégie nous évite
la réalisation de certaines études longues et coûteuses »,
précise-t-il. Sur 1000 traitements testés, 20 semblent efficaces.
Leur sélection est en cours chez la souris jusque fin 2007. Au
moins deux d'entre elles seraient efficaces chez la souris avec «
des effets spectaculaires ». Pour quoi le nématode? Pour sa
motilité et parce que ce chercheur travaille sur la myopathie. En
2007, le modèle servira pour 9 autres maladies rares (amyotrophie
spinale, par ex.). Cela fait 30 ans que les chercheurs travaillent
sur des lignées cellulaires de malades mais toutes ne permettent
pas des études fonctionnelles. « Il existe une autre approche: le
transfert nucléaire dans des cellules souches embryonnaires que
l'on différencierait en cellules nerveuses ou musculaires, selon
les maladies explorées », souligne Alain Fischer.
Autre écueil: la perte
d'efficacité de la thérapie génique couplée à la thérapie
cellulaire. Alain Sarazin tente une nouvelle stratégie avec la
société de biotechnologie Cellectis pour éviter l'intégration
hazardeuse des gènes grâce à la recombinaison homologue. De son
côté, Alain Fischer étudie le lentivirus comme vecteur de thérapie
génique.
Si l'organisation des
recherches semble au point, les défis restent nombreux. En ligne de
mire, les essais cliniques en double aveugle dans les maladies
rares qui ne seront possibles qu'à l'échelon international. « Ces
essais dépendent des problèmatiques médicales. Ils se décident aux
cas par cas. Des méthodes statistiques ont été mises au point pour
comparer le malade à lui-même », souligne Alain Fischer. Réaliser
au niveau européen un travail commun pour anticiper des thérapies
avancées (cellulaires, géniques): « nous souhaitons que la
réglementation soit moins stricte quant aux AMM mais plus
exigeantes pour les essais de phase IV », a précisé Yann Le Cam,
d'Eurordis. « Les enjeux de la recherche demeurent nombreux.
Environ 4000 autres maladies restent à caractériser avec de
nouvelles approches technologiques, plus de modèles animaux, plus
d'essais cliniques, plus de collaboration », insiste Élisabeth
Tournier-Lasserve.