
AUTOCLAVE DE STERIGENE, FOURNISSEUR D'ÉQUIPEMENTS STÉRILES.
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Ces dernières années, l'industrie pharmaceutique a connu de profondes mutations avec le durcissement du contexte économique : concurrence des génériques, raffermissement de la législation, exigences croissantes des organismes de remboursement... Autant d'éléments qui ont conduit les industriels pharmaceutiques à mener une politique de rationalisation. Celle-ci concerne aussi bien la production, avec la multiplication d'approches du type lean manufacturing, que les achats. Plusieurs évolutions notables ont ainsi eu lieu sur ce second poste. « Tous les groupes pharmaceutiques se sont énormément structurés durant les 10-15 dernières années sur les fonctions achats », explique Géraud Papon, pharmacien, créateur et dirigeant du cabinet de conseil SH Consulting spécialisé en achat et assurance qualité fournisseur pour l'industrie pharmaceutique. Premier changement marquant : le nombre d'acheteurs dans les grands groupes s'est multiplié. « En 2000, chez AstraZeneca, nous étions une petite centaine d'acheteurs, et huit ans après, il devait y avoir environ 500 personnes qui appartenaient à la fonction achat au niveau du groupe », témoigne le directeur de SH Consulting, ancien acheteur chez AstraZeneca. « Il y a eu une vraie montée en puissance de la fonction achat », résume-t-il. Cette démultiplication des acheteurs s'explique par leur rôle accru lors des processus d'achats. « Aujourd'hui, dans l'industrie pharmaceutique, l'ensemble des prestations est traité par le service achat, y compris les services d'audit et les formations, et non pas simplement les achats de composants référencés et de produits », détaille Jean-Denis Mallet, directeur conformité réglementaire sites et procédés chez SNC Lavalin Pharma. En outre, contrairement aux autres secteurs comme l'automobile, l'industrie pharmaceutique est restée jusqu'à récemment sur un mode de fonctionnement « affectif » dans ses relations avec les fournisseurs. « Il y a 5 ans, on connaissait des acteurs chez qui il n'y avait pas de fonction achat », souligne Stéphane Lescure, responsable du pôle Santé et Bien-être du cabinet Proconseil. Le modèle fonctionnait plutôt bien tant que l'industrie était florissante et pouvait se permettre de jeter quelques milliers d'euros par les fenêtres. Mais avec la rationalisation des coûts, les grands groupes se sont penchés sur la fonction achat « qui n'était pas forcément prioritaire chez eux » d'après Géraud Papon (SH consulting). Fini le temps où les services techniques de ces groupes négociaient eux-mêmes directement avec les fournisseurs. « Une première évolution qui remonte à 15 ans est la présence accrue de chefs de projets; avant, nous avions plutôt affaire au responsable de production ou à d'autres personnes du terrain », relève Arnaud Brusson, directeur général de Sterigene, société spécialiste de l'ingénierie et des procédés propres et stériles. « Et depuis les 10 dernières années, le responsable achat est plus présent. Avant, il laissait davantage la main à la technique ou à la Qualité », poursuit le fournisseur d'équipements stériles. Dans les grands groupes, l'acheteur pourra aussi avoir pour rôle de limiter le périmètre de prospection. Jean-Denis Mallet remarque ainsi que « très souvent, les services achats des grosses entreprises procèdent au pré-référencement de leurs fournisseurs actuels et potentiels et n'achèteront ensuite un service ou des prestations qu'à un fournisseur ainsi répertorié. Comme dans bon nombre d'industries, la tendance chez les grosses entreprises du secteur de la production des produits de santé est de diminuer le nombre de fournisseurs. »
La centralisation pour mieux contrôler les coûts
En plus de cette omniprésence des acheteurs, une autre mutation a marqué les achats des grands groupes : la centralisation. Ce ne sont plus seulement les services techniques mais aussi les sites qui ne peuvent plus pourvoir eux-mêmes à leurs besoins sans en référer à une autorité centrale. « En France, Sanofi est un bon exemple, on sent bien que petit à petit, tout commence à être centralisé au niveau des machines pour tous les sites français », illustre Arnaud Brusson (Sterigene). « Pour des contrats de types prestations, les directeurs de sites essaient de garder la main en local mais avec une forte pression sur les coûts en accord avec la politique groupe », précise-t-il. Cette centralisation de la fonction achat s'est par ailleurs accompagnée d'une structuration en départements, toujours au sein des grands groupes. Ainsi, un département sera spécifiquement chargé d'un poste d'achat donné suivant le découpage choisi. Côté PME, l'évolution n'est pas si brutale, « nous avons encore beaucoup de premier contact des services techniques », note Lionel Boutrou, directeur d'Ingécentre, une jeune société d'ingénierie et de négoce de machines d'occasions. Mais Arnaud Brusson relève tout de même qu'elles « se dotent maintenant de responsables achat, ce qui était moins le cas, ces dernières années ». L'acheteur devient donc un acteur majeur dans l'industrie pharmaceutique, incontournable pour les fournisseurs, ce qui ne ravit pas forcément ces derniers. Il amène avec lui des pratiques de négociations jusqu'ici étrangères à l'industrie pharmaceutique, qui rendent le dialogue plus difficile et accroissent la pression sur les fournisseurs. En tirant les coûts vers le bas, « on a l'impression d'avoir fait une économie, concède Arnaud Brusson, cependant, c'est une vision très court terme car la réalité doit prendre en compte le coût global qui comprend tous les temps d'investissement, les temps de suivi projet, les utilités, la maintenance, etc. ». En effet, « si on regarde sur 20 ans, le coût d'achat d'une machine représente entre 10 et 30 % du coût global », poursuit le directeur de Sterigene.
Ces évolutions s'accompagnent d'une complète refonte du rôle des acheteurs qui ont parfois du mal à suivre le rythme. Car « par rapport à l'automobile où la mutation a été constante et intégrée par les esprits, dans l'industrie pharmaceutique, les changements sont beaucoup plus rapides et souvent, ils se font pour des questions de survie. On passe d'un état où l'acheteur était un peu réduit à la partie négociation à un autre où, en quelques années, on est obligé d'avoir des acheteurs capables de faire de la veille au sens très large du terme, capables de comprendre les enjeux stratégiques de leur industrie et de développer des partenariats en conséquence », explique Guillaume Nuss, spécialiste achat au cabinet Proconseil. Malgré cette montée en puissance de la fonction achat, on est cependant encore loin de l'omnipotence des acheteurs de l'industrie automobile. « Acheter dans la pharmacie ne peut être dissocié du fait de travailler en conformité avec les BPF », insiste Géraud Papon. Une particularité qui limite le rôle de l'acheteur. Par exemple, « la décision de sous-traiter ou non ne reviendra jamais au seul responsable achat. Il fera valoir la part économique. Les autres services concernés feront valoir leur avis »,, indique Géraud Papon. « Dans le cas des achats de process, les services techniques, production notamment, sont fortement impliqués : la Qualité a dans ce cas le rôle de veiller au respect de la conformité aux BPF, notamment la responsabilité des fabricants vis-à-vis des autorités compétentes dans le cadre de la réglementation concernant les autorisations de fabrication et de mise sur le marché ».
Mise en avant de la qualité
Les achats dans le domaine des procédés ont fait l'objet d'une autre évolution durant les dernière années : la prise en compte de la qualité semble s'être accrue. « Entre le moment où je suis entré à Sterigene, il y a dix ans, et maintenant, la qualité a pris de plus en plus d'importance dans l'acte d'achat », témoigne Arnaud Brusson. Il note ainsi que l'établissement d'un cahier des charges est devenu « systématique, même pour les petites sociétés », ce qui était loin d'être le cas auparavant. Une observation confirmée par Jean-Denis Mallet (SNC Lavalin Pharma), qui « rappelle habituellement aux clients acteurs de la fabrication des produits de santé que les BPF se développent de plus en plus souvent dans le domaine des achats ». Avec l'essor des façonniers, une autre pratique a le vent en poupe, le négoce d'équipements d'occasion. En parallèle de son activité d'ingénierie, Ingécentre a développé Ingeneo, une filiale qui achète et vend des machines d'occasion tout en proposant des services d'ingénierie connexes. « C'est une activité qui répond à un besoin aujourd'hui. Indépendamment de l'aspect coût, l'aspect délai est relativement important puisque l'on est dans un monde du façonnage où le temps est beaucoup plus court que dans les big pharma », justifie Lionel Boutrou (Ingécentre).
Si les problématiques diffèrent suivant le statut, big pharma ou PME, et l'activité, façonnier ou laboratoire, les achats ont pris une importance stratégique dans l'industrie du médicament. Cependant, d'après Jean-Christophe Granet, spécialiste achat dans le cabinet Proconseil, il y a encore du chemin à faire. « L'acheteur n'est pas assez présent dans les phases de développement », estime-t-il.
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