
Moins touchée par la crise que l'ensemble de la chimie, la chimie fine met en oeuvre les mesures les plus douces
possibles pour traverser cette passe difficile et sortir renforcée. Preuve de sa confiance sur le long terme, la profession
essaie de préserver ses effectifs et mise sur la R&D. Détails avec Pierre Beaugrand, président du Sicos*.
Moins touchée par la crise que l'ensemble de
la chimie, la chimie fine met en œuvre les mesures les plus douces
possibles pour traverser cette passe difficile et sortir renforcée.
Preuve de sa confiance sur le long terme, la profession essaie de
préserver ses effectifs et mise sur la R&D. Détails avec Pierre
Beaugrand, président du Sicos*.
La chimie mondiale
connaît des temps difficiles depuis le tout début de la crise
financière. Comment s'en tire la chimie fine en France
?
Les derniers chiffres
dont nous disposons datent de 2008 et recouvrent l'ensemble de la
chimie fine et des spécialités. Après une hausse significative des
volumes en 2007, ce segment n'a progressé que de 0,3 % en 2008. La
situation s'est même largement dégradée pour certaines familles de
produits comme les peintures et les vernis qui reculent de 2,6 %.
En revanche, dans les produits phytosanitaires et la pharmacie, la
conjoncture s'est révélée nettement plus favorable. Les échanges
extérieurs de la chimie fine et des spécialités ont reculé de 0,3
%, tandis que les importations ont augmenté de 0,3 %. L'excédent
commercial s'inscrit donc en léger recul. L'année 2008 a été
marquée par une forte augmentation du prix du baril et des matières
premières en milieu d'année, avant une chute. Ainsi les prix ont
augmenté de 3,4 % pour l'ensemble du secteur.
Avez-vous observé un
décrochage dès la faillite de Lehman
Brother en septembre 2008
?
Au moment du
décrochage fin 2008, nous avons eu le sentiment, à l'instar de
grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux, que la pharmacie ne
serait pas touchée. Mais début 2009, nos adhérents qui fournissent
des intermédiaires ou des matières actives pour ce secteur ont
commencé à ressentir des baisses de volume. Un mouvement de faible
ampleur, mais qui se poursuit encore. L'année 2009 devrait se
terminer sur des baisses de volumes de l'ordre de 5 % dans la
chimie fine pharmaceutique. Le secteur de l'agrochimie reste
toujours très actif. La santé animale se situe entre la pharmacie
et les phytosanitaires, bénéficiant d'un effet cocooning en cette
période de crise où l'on accorde davantage d'attention aux animaux.
En revanche, la cosmétique et la détergence ont été impactées.
Beaucoup de nos adhérents qui sont situés sur ces secteurs
souffrent d'importants reculs de leurs volumes pouvant atteindre
jusqu'à 20 %. Enfin, pour tous ceux qui sont liés directement ou
indirectement aux marchés de l'automobile et de l'électronique,
c'est l'effondrement complet. On parle de volumes en retrait de 30
à 80 % pour certains types de produits.
Comment expliquez-vous
ce recul de la chimie fine
pharmaceutique et le décalage observé par rapport à l'ensemble de
la chimie dont les volumes se sont effondrés dès octobre 2008
?
Cette baisse des
volumes est due à la conjonction de deux phénomènes. D'une part,
les laboratoires pharmaceutiques ont été confrontés à des tensions
de trésorerie, ce qui les a contraints à différer des projets de
développement. Certains de nos adhérents parlent de contrats qui
ont été reportés d'un an. Dans le même temps, l'industrie
pharmaceutique a eu tendance à diminuer ses stocks pour améliorer
ses bilans. Même si la consommation de médicaments continue de
croître légèrement, par ce mécanisme, la demande en amont n'a pas
bougé. C'est un phénomène que l'on a déjà constaté dans le passé.
Les spécialités et la chimie fine suivent la tendance de l'ensemble
de l'industrie chimique mais avec des cycles moins forts et décalés
de 6 à 9 mois.
Voyez-vous des signes de
reprise sur la deuxième partie de
l'année ?
Il y a peu de chance
que l'on observe une reprise massive comme cela peut se produire
dans l'immobilier ou l'automobile. Nous devrions plutôt assister à
un lent redémarrage de nos activités.
Comment réagissent vos
adhérents pour faire face à la crise ?
Ils essaient de
traverser cette période en prenant les mesures les plus douces
possibles avant de passer à des mesures plus dures.
Quelles sont ces mesures
douces ?
Les mesures douces
consistent à arrêter tous les contrats temporaires d'intérim ou
CDD, à écouler les jours de congés, les RTT et les comptes
épargne-temps des salariés, à multiplier les actions de formation
et à étendre les plages d'arrêt d'été des ateliers. Les entreprises
mettent en place des plans de réductions de coûts, notamment
vis-à-vis de leurs presta
taires extérieurs. Et
les investissements ont été réduits de moitié. C'est un peu plus
que dans l'ensemble de la chimie où les investissements
s'inscrivent en recul de 30 %. Mais dans nos métiers, les
installations sont toutes aux normes et les investissements peuvent
souvent attendre. Presque toutes les entreprises du secteur ont
déjà dû prendre ce type de mesures. Et en ce milieu d'année, il
semble qu'elles soient arrivées au bout de ce qu'il était possible
de faire. Notre crainte est qu'au deuxième semestre, certaines
soient obligées de prendre des mesures plus dures comme recourir à
du chômage partiel ou à des licenciements.
Y a-t-il néanmoins des
ficelles pour sortir renforcé de la crise ?
Les mesures douces,
en particulier les actions de formation, visent à préserver et même
à augmenter la compétence des équipes. Si les investissements sont
en chute libre, les budgets de R&D sont maintenus. Nos
adhérents de taille moyenne ainsi que les plus grandes entreprises
essaient de passer à la chimie du futur. Ils réfléchissent à
l'opportunité de se développer sur des secteurs innovants. Par
exemple, la microfluidique, la catalyse, les nouveaux solvants, les
biotechnologies, la chimie du végétal…
Propos recueillis
par Sylvie Latieule
* Syndicat de la
chimie organique de synthèse et de la biochimie,
membre de l'Union des
Industries Chimiques